NOTE 1
J’ai développé récemment une réflexion sur les formes de dérives propres à chaque stade de l’évolution tel que décrit dans le modèle de la Spirale Dynamique. Je m’attarde plus particulièrement à penser la dérive du stade vert, observant très souvent sur le terrain un manque de rationalité chez les individus en verts.
Je vois que la religion bleue dérive en dogmatisme, que la science orange dérive en scientisme. Et au niveau vert j’observe une dérive vers un subjectivisme pré-rationnel, sorte de ressentisme intuitif ouvert à tous les biais cognitifs.
J’appelle cela le phénomène vert régressif. Ce phénomène socio-culturel n’est au fond qu’une pré/trans fallacy, au sens wilberien du terme. A partir du moment où l’évolution entame le dépassement du mental rationnel, elle perd son appui structurant et risque de retomber en deça. C’est ce qui advient pour une partie de ceux qui opèrent cette mutation conscientielle sans avoir suffisamment intégré le stade précédent. Je pense aux rainbow d’aujourd’hui, aux gens que l’on retrouve dans les festivals néo-tribaux de type Rêve de l’Aborigène, ou aux personnes qui sont dans le New Age, etc.
NOTE 2
1/ Le niveau Vert de l’évolution de la conscience, tel que décrit dans le modèle de la Spirale Dynamique, a jusqu’ici échoué à prendre les commandes de la société. Il y a eu jusqu’ici un échec des créatifs culturels, un échec à se rassembler et à prendre conscience d’eux-mêmes en tant que groupe pour constituer une force en vue de transformer la société, comme l’avait espéré Paul Ray.
2/ Cet échec est lié à un double facteur :
– le premier, que j’avais senti et théorisé à ma manière, c’est la pre/trans fallacy du Vert, soit sa confusion entre le niveau pré-(moderne/rationnel/egoïque) et le niveau post-(moderne-rationnel-egoïque). (Pour faire simple : la dynamique d’évolution post-moderne ayant eu une attitude trop oppositionnelle envers la modernité, en a perdu les apports et est retombée dans des logiques pré-modernes et pré-rationnelles, aussi bien du côté de l’écologie que de la spiritualité) ;
– et le second, que j’avais moins compris, et que Wilber a bien mis en évidence, à savoir la dérive du discours Vert vers un relativisme absolu prônant le “chacun sa vérité”. Pour résumer : la déconstruction de toutes les formes de domination qui va de la french theory au constructivisme social actuel, débouche sur un relativisme plat qui nie le progrès holarchique de l’évolution et par suite, prive le Vert de son leadership évolutionnaire et de sa capacité à affirmer un But, au profit d’un monde plat post-vérité. En somme, le rejet de toute hiérarchie de domination conduit à renier toute l’holarchie de l’évolution, qui fait qu’un système de valeur rouge est moins évolué qu’un système de valeur vert par exemple, ou qu’un ver de terre est moins évolué qu’un humain.
Voilà pour les causes internes à l’échec du Vert à changer la société. Il faudrait bien sûr y ajouter les causes externes, et notamment la difficulté des populations situées sur les niveaux précédents à suivre le rythme et le niveau de complexité de l’évolution en cours. La majorité en orange attend notamment que le nouveau paradigme ait fait ses preuves et devienne concret, mais l’évolution caricaturale du vert est loin d’être convaincante dans les yeux des oranges… Dans ce contexte le fameux gouffre de la théorie de la diffusion de l’innovation dont parle Geoffrey Moore n’a pas pu être sauté. En somme : le processus d’évolution a échoué (du moins jusqu’ici).
Hypothèse à tester : c’est le niveau Jaune-Turquoise de la Spirale Dynamique (vert d’eau – turquoise dans le modèle de Wilber) qui permettra de surmonter cet échec temporaire du Vert et de guérir par la même le Vert de sa pente régressive. C’est seulement au niveau Jaune-Turquoise que peut s’opérer le mouvement du “transcender et inclure” caractéristique de toute évolution de structure holarchique. Autrement dit c’est seulement au stade de conscience systémique-intégral que l’on pourra transcender le stade moderne actuel TOUT EN en intégrant les apports, et donc canaliser les tensions et mécontentements liés à la crise systémique du monde moderne vers une issue évolutive.)
C’est du moins ce que semble suggérer Ken Wilber, dans son dernier livre sur le phénomène Trump. Selon lui, Trump incarne une réaction anti-verte qui réussit à amalgamer du Rouge, du Bleu (Ambre chez Wilber) et du Orange pour emporter les élections. L’évolution s’est braquée, mais aux yeux de Wilber, c’est peut-être un recul pour mieux sauter.
Voici le passage qui résume le mieux l’analyse de Wilber sur la situation :
Note 3
J’ai un peu affiné ma réflexion sur la crise du Vert et le phénomène Trump. Je vais essayer de faire une vidéo pour reprendre tout ça de manière pédagogique, mais en attendant :
l’idée que seul le jaune permettra de sauver le vert est à corriger. L’idée qu’il faudrait passer au jaune avant d’avoir pleinement vécu le vert est également à corriger, même s’il est vrai, ultimement, que le jaune est bien plus en capacité de résoudre la crise systémique, étant lui-même de nature systémique. Le problème tient dans ce que le jaune n’est pas prêt quantitativement à prendre le pouvoir. Il doit donc, pour réussir, s’appuyer sur le vert sain, quantitativement bien plus important. Mais Wilber ne disait-il pas que le vert sain avait dégénéré en vert malsain? Si, et il avait en partie tort, voici pourquoi :
Il y a en réalité deux Verts, un vert sain et un vert malsain (Mean Green Meme chez Wilber et Don Beck). Mais contrairement à ce que dit Wilber dans son livre sur Trump, on n’est pas passé d’un vert sain à un vert malsain. Ce n’est pas une dégénerescence. En fait, les deux coexistent simultanément : il y a deux écologies, une saine et une malsaine, deux spiritualités vertes, une saine et une malsaine ou régressive, et même on pourrait dire deux féminismes, l’un anti-homme et l’autre pro-égalité, un féminisme du face-à-face menant à la guerre des sexes et un féminisme du côte-à-côte menant à la co-évolution (voir à ce sujet mes réflexions sur le Féminisme constructif).
Cette co-existence s’explique par des différences d’intensité oppositionnelle dans le rapport des post-modernes au monde moderne. Pour qu’il y ait évolution, il faut en effet qu’il y ait un mouvement de Transcender et Inclure, car l’évolution a une structure holarchique, non pas une structure oppositionnelle. Elle emboite les niveaux de complexité comme des poupées russes. Ainsi le postmoderne inclut le moderne tout en le dépassant, et c’est précisément cette inclusion qui le distingue du pré-moderne. L’opposition radicale ne saurait produire une évolution car elle se prive de l’apport de ce à quoi elle s’oppose, et ne pouvant donc l’inclure, elle reconduit fatalement sur de la régression. Par conséquent, plus l’opposition est forte et plus elle empêche le mouvement d’inclusion qui rend possible un véritable Transcender holarchique. Toute posture d’opposition radicale à la modernité, dans la mesure où elle conduit au rejet de son apport, ne peut que reconduire fatalement sur de la régression pré-moderne. Mais si le caractère oppositionnel est moins fort, c’est-à dire si la conscience est suffisamment non-binaire pour voir les avantages de la modernité en même temps que ses défauts, alors l’intégration peut se faire et donc le dépassement évolutif du stade moderne devient possible. Deux trajectoires vertes se dessinent alors : l’une finit par rétrocéder, l’autre parvient à évoluer.
Certains passent de l’un à l’autre. Par exemple, on commencera dans une phase adolescente hyper-oppositionnelle au orange, par un rejet en bloc du modernisme qui pourra nous conduire par exemple dans une communauté de permaculture low-tech. Mais quelques temps plus tard, gagnant en maturité, on commencera à réaliser l’apport de la modernité (en étant confronté aux limites d’un mode de vie en rupture avec la société, en ayant été au bout de cette logique) et l’on reviendra sur un vert plus équilibré. Ou bien l’inverse: on milite pour le développement durable et puis on tombe sur une chaîne comme Thinkerview et l’on finit dans une base autonome durable avec Pablo et ses copins.
Bref il y a deux verts, mais ce sont plus des degrés oppositionnels qui conduisent à une scission de la trajectoire verte en deux trajectoires. Les deux trajectoires s’opposant d’ailleurs: pour les collapso-décroissants, le développement durable est une arnaque, se réduit à du greenwashing. Pour les constructifs partisans de l’écologie créative, la décroissance rendrait impossible la transition, les collapso-décroissants sont donc un obstacle à l’écologie, du populisme vert, du traditionalisme à prétexte écolo. Mais ce qui est sûr c’est que l’un n’a pas remplacé l’autre, on peut juste dire qu’il y en a un qui domine médiatiquement sur l’autre, pas qu’il l’a remplacé. Le vert sain existe, en écologie comme en spiritualité, et pour cette raison, nous devons nous garder d’un rejet en bloc du vert et ne pas en oublier l’apport considérable pour l’évolution socio-culturelle en cours. (voir : Le ressentisme vert)
La grande différence avec Wilber, c’est donc que le vert sain existe toujours. Il s’agit de le renforcer et de l’appuyer, car le jaune n’est pas prêt quantitativement pour gagner le pouvoir, il doit s’appuyer sur le vert qui est au moins à 20% (35% selon l’enquête de 2008 de Paul Ray). Le jaune ne doit donc pas guérir le vert malsain mais renforcer le vert sain contre le vert malsain. C’est une petite nuance par rapport à Wilber mais ça permet de clarifier une chose: c’est qu’il ne s’agit pas de sauter le vert, en allant directement au jaune, ce qui est contraire aux principes de la Spirale Dynamique (on ne saute pas d’étape dans l’évolution). On n’a pas à sauter le vert en tant qu’étape, on a à renforcer le vert sain pour que cette étape puisse se faire. Le vert sain peut se renforcer lui-même. Et le jaune peut aider le vert sain à se renforcer en l’influençant. On aurait alors un vert au pouvoir via une forme de Green New Deal, mais avec des jaunes en coulisses. C’est un peu ce qu’envisage Wilber lorsqu’il parle d’un « champ morphique à action descendante », avec rayonnement du jaune sur le vert, mais il envisage ce rayonnement comme une guérison du vert malsain en vert sain, alors qu’il s’agit plutôt d’un renforcement du vert sain, pouvant peut-être aussi récupérer une partie des verts malsains, les autres poursuivant leur trajectoire régressive.
Et ce bloc vert-jaune, doit attirer le orange à lui via le ORANGE-vert, pour tirer la masse culturelle et électorale orange dans le camp de l’évolution, l’arrachant ainsi au bloc régressif rouge-bleu-orange (Trump, Bolsonaro, mouvements nationalistes et identitaires). Tout va se jouer sur le basculement du Orange (je rappelle que les oranges représentent encore la majorité dans les pays industriels avancés). Le vert-jaune tire vers l’évolution, le rouge-bleu et le vert malsain tirent vers la régression. Entre les deux, le orange peut s’allier d’un côté ou de l’autre. Et ça se joue beaucoup sur la santé du vert. Si le vert est suffisamment sain et non-régressif, sa force de proposition convaincra le ORANGE-vert et emportera avec lui les 3/4 du orange (laissant le ORANGE-bleu s’allier au bloc rouge-bleu). Le Green New Deal peut dans ce cas l’emporter et s’il l’emporte dans plusieurs pays, nous aurons un véritable mouvement mondial de concrétisation de la transition.
La bonne nouvelle, c’est que le Green New Deal est en train de s’imposer dans le camp démocrate et la victoire de Biden signe la reprise de la dynamique d’évolution après la phase régressive trumpienne. Les modèles de Graves expliquent ce phénomène: il s’agit d’un creux gamma ( γ ) dans le processus de changement de paradigme (voir F. et P. Chabreuil, La Spirale Dynamique, Chap. IX “Les 5 états du changement”).
En simple: l’évolution recule avant de sauter. Je renvoie à la belle citation d’Aurobindo: « La fin d’un stade de l’évolution est généralement marquée par une puissante recrudescence de tout ce qui doit sortir de l’évolution. » Le moment trumpien était donc bien un recul pour mieux sauter. Certes Biden n’est pas encore le saut mais la reprise, ça ira dans le bon sens, mais un peu mollement encore, à moins que Harris ou d’autres ne dynamisent tout ça, sinon il faudra attendre la génération suivante. Il est vrai que ce Green New Deal là est encore proche d’un éco-modernisme orange. Mais il faut bien que le pouvoir orange commence à verdir avant de passer à un centre de gravité en vert.
La seconde bonne nouvelle, c’est qu’on voit des mouvements à forte teneur oppositionnelle se rapprocher du Green New Deal. Je songe à Naomi Klein, leader de l’altermondialisme anti-capitaliste, avec son livre “Plan B pour la planète : le New Deal vert“. Je pense aussi à Greta Thunberg, qui a fait quelques allusions anti-croissance et anti-CCU, mais qui dialogue à présent avec Ocasio-Cortez. Si ces mouvements populaires reconduisent ultimement, malgré leur caractère oppositionnel, sur la proposition Green New Deal, aux côté d’un Rifkin par exemple, il y a des chances que ça passe. Après, au Green New Deal d’être à la hauteur au niveau de son programme, et pour ça, les jaunes-turquoises peuvent aider en y insufflant une vraie vision puissante et systémique.
Voilà où j’en suis dans mes réflexions, et même si ma pensée évolue constamment, je pense que c’est une phase d’éclaircie.
Quelques citations pour comprendre:
« L’autre avantage majeur d’un système de pointe intégral [i.e Jaune-Turquoise] est qu’il créerait un champ morphique à action descendante extrêmement puissant qui exercerait une forte pression sur le vert pour guérir sa fragmentation et sa détérioration. Bien que cela ne guérisse pas en soi directement chacun et chaque défaut vert – cela ne peut être fait qu’avec les propres actions du vert et sa coopération – cela introduirait néanmoins un puissant champ régénératif qui compenserait les dysfonctionnements de vert et dans de nombreux cas, cela aiderait en effet le vert à les guérir directement. » Ken Wilber, Trump et le monde post-vérité
« [GREEN] utilise les ressources que ORANGE a construites, mais comme il n’aime pas ORANGE, il s’éloigne de la croissance. La croissance et la consommation sont mauvaises. Il veut utiliser les ressources déjà disponibles et les redistribuer afin que tout le monde puisse rattraper son retard. GREEN est un système merveilleux, mais ironiquement, il suppose que tout le monde jouit du même niveau de richesse que lui. » Don Beck
« Dans la noble tentative de Green pour aller au-delà des règles conformistes et des préjugés ethnocentriques – en bref, dans l’admirable tentative de Green de passer au postconventionnel -, il a souvent adopté par inadvertance tout ce qui n’est pas conventionnel, et cela inclut beaucoup de choses franchement pré-conventionnelles, régressives et narcissiques. » Ken Wilber, Boomeritis
Sur le féminisme anti-homme:
« Détester les hommes et tout ce qu’ils représentent est notre droit le plus strict. C’est aussi une fête. Qui aurait cru qu’il y aurait autant de joie dans la misandrie ?» Pauline Harmange, Moi les hommes, je les déteste
« Il ne suffit pas de nous entraider, il faut, à notre tour, les éliminer. Les éliminer de nos esprits, de nos images, de nos représentations. Je ne lis plus de livres des hommes, je ne regarde plus leurs films, je n’écoute plus leurs musiques. J’essaie du moins. (…) Les productions des hommes sont le prolongement d’un système de domination. Elles sont le système. L’art est une extension de l’imaginaire masculin. Ils ont déjà infesté mon esprit. Je me préserve en les évitant. Commençons ainsi. Plus tard, ils pourront revenir ». Alice Coffin (élue EELV), Le génie lesbien
NOTE 4
Je ne fais pas partie des gens qui pensent qu’un saut de tarzan soit envisageable dans le processus d’évolution, ni à l’échelle individuelle ni à l’échelle collective. L’évolution ne saute pas d’étape, un orange ne peut pas accéder au jaune sans passer par vert. J’ai simplement mentionné une fois que Wilber envisage deux manières pour le Mean Green Meme d’être guéri de ses excès pathologiques : 1/ Le vert se guérit lui-même 2/ Le jaune aide le vert à guérir. J’ai aussi pensé, politiquement, des mouvements centrés en vert mais noyautés par des jaunes-turquoises en interne, et capables pour cette raison de capter le orange. Cette alliance me semblant la seule capable de faire triompher les forces d’évolution face à la montée des forces régressives et au risque d’effondrement du système. Les solutions à une crise systémique étant systémiques, la conscience jaune est plus à même de les concevoir. Pour simplifier je dirais qu’il nous faut des programmes jaunes de transition systémique portés par des verts et suscitant l’adhésion des Orange via les ORANGE-verts. C’est ce que nous essayons de faire au Courant Constructif, mais ce n’est pas facile et nous devons sans cesse veiller à l’équilibre entre les différentes couleurs. La déclaration d’Olivier selon laquelle les verts manqueraient d’éducation, de connaissance ou de réalisme est intéressante, mais à mes yeux elle ne concerne que les verts régressifs, pas les verts sains, qui se caractérisent par une transclusion réussie, et qui, de ce fait, disposent des compétences rationnelles holarchiquement intégrées en eux. C’est leur degré de radicalité oppositionnelle au orange qui détermine leur incapacité à intégrer/conserver l’apport du orange en eux, et par suite, à opérer un dépassement inclusif plutôt qu’une régression en bleu. La scission des trajectoires qui aboutit, d’un côté, à une transclusion saine et, de l’autre, à un échec transclusif se joue très précisément sur le degré d’opposition extractive au modernisme.
Cette différence apparaît par exemple dans le rapport aux énergies renouvelables : pour les verts régressifs, les ENR apparaissent comme du greenwashing du technosolutionnisme orange, la vraie solution étant plus à chercher dans une décroissance énergétique par voie morale et spirituelle, ce qui reconduit sur des modes d’existence traditionnels. Alors que pour des verts sains, les ENR sont une transition verte réelle, ce sont des énergies douces, respectueuses, féminines, harmonieuses, en lien avec les forces de la nature. Pour orange, elles peuvent être vues comme une opportunité financière, un défi technique, un nouveau marché, une solution pour continuer le système moderniste comme avant. Pour jaune, ce sera par exemple une systémique d’énergies multiples et distribuées mises en réseaux intelligents et définissant un nouveau rapport fondamental de l’homme à la nature.
NOTES 5
NOTE 6
Réflexion sur la pre/trans fallacy :
Wilber a identifié deux types de pre/trans fallacy, soit la confusion de trans-X avec pré-X (Freud), et la confusion (inverse) du pré-X avec trans-X (Jung). (Vous pouvez remplacer “-trans” par “-post” ou “-supra” si c’est plus clair pour vous.)
Or étant donné que la pre/trans fallacy comprend 3 termes: X, infra-X (ou pré-X) et supra-X (ou post-X, ou trans-X), il n’y a pas deux types de confusions pré/trans mais bien 6, car les combinaisons erronées possibles de ces trois éléments aboutissent à 6 possibilités:
1) Infra-X to supra-X
2) Infra-X to X
3) supra-X to infraX
4) supra-X to X
5) X to Infra-X
6) X to supra-X
Cas 1 : infra-X to supra-X
L’infra-rationnel est pris pour du supra-rationnel. Ex: certaines pratiques new age recourant à de la pensée magique sous un prétexte de dépassement du mental et d’évolution de la conscience.
Cas 2 : infra-X to X
L’infra-rationnel est pris pour du rationnel. Ex: les pseudo-sciences. Par exemple: la théorie des anciens astronautes en pseudo-archéologie essaye de faire passer pour de la science une relecture ufologique de la Bible et une théorie ufologique de l’évolution alternative à la théorie scientifique de l’évolution. Ou encore la justification abusive par la physique quantique de théories énergétiques new age.
Cas 3 : supra-X to infra-X
Le supra-rationnel est pris pour de l’infra-rationnel. Ex: réductionisme zététicien ne reconnaissant pas l’existence d’une dimension spirituelle irréductible. Réduction athée et/ou matérialiste du spirituel à des croyances pré-rationnelles.
Cas n°4 : supra-X to X
Le supra-rationnel est pris pour du rationnel. Correspond à des tentatives d’expliquer rationellement des phénomènes et capacités relevant du développement spirituel. Ex: les études scientifiques sur la méditation, la réalisation du Soi réduite à un état modifié de conscience relevant de la chimie du cerveau, la réduction de toute forme de chaneling à un syndrome de personnalité multiple, etc.
Cas n°5: X to infra-X
Le rationnel est pris pour de l’infra-rationnel. Ex: critique du « mythe du progrès », de la « religion de la croissance », de la « foi en la science » et du « culte de la technologie » chez les collapso-décroissants.
Cas n°6: X to supra X
Le rationnel est pris pour du supra-rationnel. Ex: on explique un phénomène rationnel encore non élucidé par le recours à du supra-rationnel parce qu’on n’a pas encore d’explication. Autre ex: un mentaliste se faisant passer pour un medium, un magicien laissant croire qu’il a acquis des superpouvoirs, les colons blancs avec leurs armes pris pour des dieux ou des êtres supérieurs, un gourou utilisant des techniques de manipulation pour faire croire qu’il est un grand être réalisé (ex: Satya Sai Baba utilisant des techniques de régurgitation pour faire croire qu’il matérialise des oeufs d’or, afin d’induire dans son public la croyance qu’il est un Avatar, puisque le fait de matérialiser des lingams d’or est reconnu dans la tradition hindoue comme un signe de l’Avatar). Voir: https://youtu.be/NOhxftt5Hn4
NOTE 7
La rationalité s’est construite historiquement comme un rejet du subjectivisme. La conquête de l’objectivité a été tout un apprentissage, très difficile, contre-intuitif, pour l’esprit humain. Il fallait écarter les émotions, les superstitions, les croyances religieuses, les biais cognitifs, les préférences subjectives, la sensibilité, pour faire parler le réel selon une méthodologie rigoureuse et lente puis s’en tenir aux faits. Il en est ressorti quelques blessures narcissiques difficiles à encaisser et un désenchantement du monde, une perte de la communion insupportable pour beaucoup, comme l’expriment aussi bien le phénomène néo-traditionaliste que le phénomène vert. Il est tout à fait compréhensible que le retour du subjectivisme, de l’émotionnel, du spirituel, du corps et du sensible fasse vaciller la rationalité, surtout si elle n’a été intégrée que partiellement (tous les modernes n’ont pas une reçu une formation scientifique ou étudié la construction de la rationalité dans la philosophie occidentale…) Une intégration insuffisante du orange conduit à un risque de pre/trans fallacy au niveau vert.