L’Inde, c’est aussi ça: des gourous charlatans, pédophiles ou avides d’emprise et d’argent. Évidemment lorsqu’on désinvestit le mental, conformément à l’incitation spirituelle, on perd aussi la faculté de discrimination qui permet d’éviter bien des pièges.
C’est pourquoi j’ai toujours incité les gens à ne pas succomber aux conditionnements du milieu spirituel et aux polarisations perdantes qu’il induit. Il me semble plus équilibré de cultiver à la fois l’intelligence spirituelle ET l’intelligence mentale comme deux intelligences complémentaires, auxquelles on pourrait ajouter l’intelligence émotionnelle, l’intelligence subconsciente et l’intelligence du corps.
Évidemment la réaction la plus commune, lorsqu’on prend conscience de l’arnaque du gouroutisme indien, est généralement de vouloir tout rejeter en bloc. Cela aussi relève du jeu de la polarisation. Il y a un véritable trésor dans la spiritualité indienne et certains êtres en font réellement l’expérience, tout en restant humains.
La vraie indépendance d’esprit consiste à savoir en prendre et en laisser, en discriminant et en utilisant ce qui nous fait avancer, de manière libre et créatrice. C’est cela aussi l’esprit de la spiritualité post-religieuse. La dévotion aveugle qui pousse des milliers de fidèles à abandonner leur mental aux pieds d’un gourou n’est rien d’autre au fond qu’un infantilisme régressif. J’y vois la recherche d’un bon Père ou d’une bonne Mère auxquels abandonner la lourde responsabilité d’être homme.
Pour fonctionner cet abandon a besoin d’un mécanisme de projection – projection de pureté, de divinité ou de perfection – sur la personne du gourou dont on ne sait à peu près rien en dehors du storytelling divinisateur colporté par la secte. Cette projection déclenchée par la croyance dans le storytelling sectaire produit la levée de toutes les barrières de vigilance critique. Les réveils sont parfois douloureux!
Il y a le meilleur et le pire dans la spiritualité. Et sans l’aide du mental discriminateur, on se laissera facilement berner. C’est pourquoi, la spiritualité a besoin du mental comme le mental a besoin de la spiritualité…
Et méfiez vous aussi des gourous évolutionnaires! Le milieu évolutionnaire en regorge, cela fait longtemps que je le dis. Et pourtant il y a là aussi de nombreuses perles qui méritent d’être découvertes.
1 – Le ressentisme comme régime de véridiction vert
Chaque stade de l’évolution possède un régime de véridiction spécifique, qui, dans son excès, produit une dérive caricaturale: le bleu produit la religion qui dérive en dogmatisme, le orange produit la science qui dérive en scientisme, et le vert produit le ressentisme, ou vérité du ressenti, qui dérive en un subjectivisme relativiste (« c’est mon ressenti », « c’est ton ressenti », « je le ressens donc c’est vrai »…). Il en découle un transfert de la science vers la spiritualité post-religieuse, une spiritualité de l’expérience qui, dans certaines formes trop oppositionnelles ne permettant pas la conservation de l’héritage rationnel moderne, peut dériver vers des formes pré-rationelles, comme souvent dans le new age par exemple. Le new age est essentiellement une spiritualité de l’expérience basée sur le ressenti des énergies (énergie des pensées, des chakras, des plans subtils, des esprits, des lieux, etc). Le dogme était basé sur un credo, la science sur des faits, la spiritualité verte, elle, se base sur le ressenti pour fonder le vrai. « Je ressens donc je suis », telle pourrait être la nouvelle philosophie de l’époque. L’hégémonie du ressenti crée les conditions d’une régression pré-rationnelle de plusieurs façons : par le subjectivisme, par l’émotivité, par la faillibilité de l’intuition, par la confusion entre réel et imaginaire, par la confusion entre réel et désir / projections, par l’oubli des facteurs collectifs et objectifs, par l’appauvrissement du mental rationnel au profit du coeur et des sens, etc.
2 – Ressentisme et pensée
Le ressentisme vert inspire des formes de pensées variées. Le désir de nature qu’il engendre a inspiré des philosophies romantiques, transcendantalistes, puis écologistes… La sensibilité qu’il donne à la souffrance induite par les systèmes de domination (domination des animaux, des femmes, des peuples indigènes et colonisés, etc) le pousse à développer des théories critiques envers la société bleue et orange : Féminisme, anti-spécisme, anti-colonialisme, anti-extractivisme…
La philosophie verte par excellence, c’est peut-être la phénoménologie (française notamment), cette philosophie du monde vécu qui décrit finement l’expérience subjective, la relation de l’homme au monde, au sens et à l’autre, et qui opère une sortie du rationalisme. La systémique, elle, est plus jaune dans son essence.
Au delà de la philosophie, c’est la spiritualité et le développement personnel qui sont les plus particulièrement représentatifs du niveau vert, bien qu’ils puissent prendre d’autres couleurs aussi. John De Martini par exemple, est un coach clairement jaune-turquoise (spirituel-systémique) tandis que la philosophie du succès d’un Napoleon Hill (Réfléchissez et devenez riches) est très moderne dans ses valeurs. Le caractère vert du développement personnel et de la spiritualité tient au fait que la vérité y retrouve sa dimension expériencielle. En spiritualité, la vérité n’est pas l’objet d’une connaissance mentale, mais d’une réalisation subjective. Dans le développement personnel, il ne s’agit pas seulement de connaître mentalement les attitudes modélisées à partir des cas de succès, mais de les intégrer dans son être au niveau émotionnel, subconscient et physiologique. L’apprentissage n’y prend pas seulement la forme d’un enseignement intellectuel sur paperboard, mais aussi à des exercices expérientiels mettant en œuvre toutes les dimensions de l’être. On l’aura compris, ces champs sont en adéquation avec le ressentisme vert, dans lequel la vérité doit être vécue, réalisée et intégrée affectivement et non pas seulement comprise mentalement.
3 – Ressentisme et pouvoir
Chaque régime de véridiction engendre une dynamique de pouvoir qui lui est propre. Le dogme se structure en une hiérarchie religieuse, dont découle la légitimité d’un roi de droit divin. Au stade orange, les preuves empiriques, la validation par les pairs et la publication dans des revues à comité de lecture valident la fiabilité d’une expertise dans sa capacité à guider la décision publique. Au niveau vert, l’accès aux ressentis subtils donne un pouvoir de véridiction conférant autorité (le channel, le voyant, le clairaudient, le guru, l’énergéticien, le chamane, le spirite, le géobiologue, mais aussi le psy, le coach, l’artiste, l’influenceur, le thérapeute de bien-être…). Ce pouvoir spirituel donne le pouvoir de guider les autres et / ou la communauté.
4 – Accroissement de la sensibilité, de l’affectivité et de l’empathie
Parce qu’il veut vibrer, se sentir en vie et en lien, communier avec la nature et les autres, l’individu en vert aimera la vie en éco-communauté spirituelle. Quand il sera coupé de son héritage moderne-orange, il ne s’intéressera pas tant à l’écologie extérieure (éco-technologies, CCU, ENR, etc) qu’à l’écologie intérieure (communier avec la nature, embrasser les arbres, aimer et se sentir aimé par Gaïa, prendre soin des animaux, faire son potager communautaire…). Il aimera retourner vivre près de, voir dans la nature, pour pouvoir la ressentir et en éprouver les bénéfices psychiques. C’est aussi la raison pour laquelle il s’engagera pour les animaux ou dans l’humanitaire, par empathie envers la souffrance des autres et particulièrement celles des victimes du monde orange. Il ressentira aussi plus fortement la violence des systèmes de domination : domination de la nature, des animaux, des femmes, des noirs, des pauvres, des enfants, etc… Tout cela lui deviendra plus particulièrement insupportable du fait du niveau de développement de son empathie en lien avec la configuration ressentiste de sa personnalité.
Au niveau social, ses relations ne seront plus régies par des considérations de statut (niveau bleu) ou d’intérêt (niveau orange) mais d’affinités (vibratoires). C’est l’ère des réseaux, des tribus numériques, des échanges affectifs d’émoticônes permettant d’exprimer un ressenti.
5 – Expression de soi et vie communautaire : le paradoxe vert
L’ère du ressentisme est aussi l’ère de l’expression de soi, dans laquelle l’individu partagera son ressenti aux autres, à travers ses créations musicales sur myspace ou soundcloud, ses pensées sur son blog, son humeur sur facebook, les photos de son look sur instagram… Le ressentisme conduit à une focalisation subjective en première personne, qui conduit à l’expression de soi, laquelle peut à son tour dériver en un certain narcissisme. Mais en même temps qu’il institue l’ère de la subjectivité, le ressentisme se révèle paradoxalement être une ère ultra-communautaire où le je n’existe que par le regard et l’amour des autres. C’est le temps des selfies et de l’ordinateur personnel mais aussi des likes et des tribus numériques. La mode est à l’expression de soi mais aussi au partage et au collaboratif.
Ce paradoxe n’en est pas un, il s’explique par la logique propre du ressentisme. Je vibre en donnant, mais je vibre aussi en recevant, j’aime vibrer seul mais j’aime aussi vibrer avec les autres. J’aime montrer que je vibre, mais j’ai aussi besoin de recevoir l’approbation des gens au fait que je vibre. J’aime partager mes « good vibes », mais je les compare aussi à celle des autres. Le ressentir de l’individu est toujours déjà connecté. Il n’y a plus un individu non-connecté qui se connecterait parfois pour interagir, mais un individu ontologiquement connecté, constamment relié aux autres et dont le ressentir est immédiatement partagé dans un réseau d’inter-dépendance émotionnelle et existentielle. En réalité les gens ne se connectent plus, ils sont connectés en permanence. La connexion ne caractérise plus l’activité de l’individu, mais la structure de son être. Les individus SONT connectés, ils vivent connectés, et cette connexion détermine la structuration même de leur conscience, de sorte qu’ils se vivent, beaucoup plus qu’à toute époque, comme interdépendants, affectivement et mentalement. Après la dépendance de l’ère traditionnelle, après l’indépendance de l’ère moderne, vient l’ère de l’interdépendance postmoderne. La dépendance impliquait la conformité au groupe. L’indépendance encourageait le démarquage de l’individu. L’interdépendance, elle, en courage l’individu à exprimer sa singularité dans le groupe, de même qu’elle rend le groupe capable d’accueillir des différences.
Le ressentisme s’accomplit dans la communion des singularités. C’est l’ère de la communion par excellence, celle des grands concerts, des festivals et des émotions planétaires. C’est l’ère où un unique DJ peut faire communier des milliers de personnes de toute origine, de tout genre, de tout statut social, dans le cadre d’un évènement dont le seul sens est de vibrer ensemble. L’échelle de l’amour atteint par le stade vert permet à présent d’inclure une multitude de différences : différences de genre, de nationalité, d’orientation sexuelle, de couleur de peau, de religion, de statuts… Toutes ces différences forment une seule humanité composée de millions d’êtres singuliers, tous pareils et différents à la fois. Ce qui compte est plus l’énergie d’une personne, sa personnalité, sa likabilité, que son statut socio-professionnel, son capital, son pouvoir. C’est l’heure des influenceurs, où chaque singularité est susceptible de fonder sa propre tribu, où chaque individu appartient à une multitude de tribus qui tout en même temps relient et enrichissent sa singularité.
6 – Ressentisme et reconfiguration du sens
La reliance de toutes ces différences ne se fait plus par une Vérité Commune mais par un Ressentir commun. En guise de sens, l’intensité remplace le récit. Quand tout l’horizon de sens traditionnel et moderne s’est effondré, il ne reste de sens que le sens intrinsèque de la vie en elle-même et pour elle-même. C’est l’ère de l’intensité-sens: le sens ne réside plus dans quelque direction de l’histoire, mais devient intrinsèque à la vie qui s’éprouve elle-même, et qui, en s’éprouvant elle-même, s’aime elle-même et jouit de sa propre intensification.
Le futur n’est plus l’horizon du sens, il n’y a plus ni quête du salut de l’âme après la mort, comme dans l’ère traditionnelle, ni « sacrifice d’un présent personnel au service d’un futur collectif », comme dans la culture moderne du progrès. Le sens se vit maintenant au présent, il réside entièrement dans le fait de vibrer. C’est l’intensité de l’Etre qui donne sens à la vie et au monde, et non plus une quelconque directionalité du Devenir. Une ère hédoniste en somme, qui, sous sa forme oppositionnelle, peut dériver en un certain égoïsme générationnel, là où l’austérité du modernisme protestant permettait d’oeuvrer au-delà de soi-même pour léguer aux générations futures un monde meilleur par l’accumulation de la connaissance et du progrès techno-scientifique.
7 – Ressentisme et libération émotionnelle
C’est aussi l’ère des relations liquides, des assemblages affectifs, des sexualités libérées, mais aussi d’une certaine souffrance liée à la tyrannie du désir, à la fluctuation des émotions, au zapping humain, à l’oubli narcissique de l’autre… En venant rééquilibrer le rationalisme moderne, le ressentisme déclenche le grand retour de l’émotionnel. L’activité vitale, qui avait été soumise à tout un processus de civilisation des moeurs, connaît alors une nouvelle libération. Mais dans ses formes les moins maîtrisées, cette libération émotionnelle et sexuelle peut prendre des formes excessives et conduire à une tyrannie de l’émotion, à une instabilité affective, à du consumérisme sexuel, etc. Là encore, l’apport peut, d’un simple rééquilibrage complémentaire, tourner en excès caricatural.
Ce régime de véridiction a donc sa propre cohérence interne, ses propres qualités et ses propres dérives. Dans sa dérive principale, il génère un processus de régression à du pré-rationnel. De Platon à Kant, la raison s’est construite essentiellement comme une instance d’auto-contrôle émotionnel et de domination du mental sur le vital. Le ressentisme signe le grand retour de l’émotionnel dans la vie subjective et la société. Dans sa version saine, il vient rééquilibrer l’excès de rationalité produit par la configuration occidentale de la subjectivité, il connecte le mental au coeur et soumet le progrès au bien-être et à l’amour. Dans sa version excessive, il destitue le mental, redonne le pouvoir au vital et produit une régression pré-rationnelle.
8 – Pathologies du ressentisme
La nuance entre ces deux versions tient au niveau d’opposition du vert au orange. Selon qu’il sera plus ou moins opposé au orange, le vert permettra plus ou moins le maintien de l’héritage orange dans la subjectivité au stade vert. Là où l’héritage du orange est bien intégré au vert, il vient équilibrer le ressentisme postmoderne par la structuration rationnelle du mental maintenue holarchiquement. Mais plus le vert est oppositionnel au orange et moins le ressentisme est équilibré par l’héritage rationaliste moderne. En s’éloignant de cet héritage, il perdra peu à peu son intérêt pour les réalités extérieures-collectives au profit de vérité intérieures-individuelles. Sa capacité à comprendre et à transformer le réel au niveau matériel s’en trouvera, par suite, considérablement réduite.
Le rationalisme orange est orienté quadrant extérieur-collectif, le ressentisme vert est orienté quadrant intérieur-individuel. Il produit donc un désinvestissement des faits au profit de l’expérience, des objets au profit du lien et de la vie intérieure, de la possession au profit de l’usage et de la relation, des luttes collectives au profit du développement personnel, du sacrifice de soi au profit de la vie présente… Ainsi, tous les phénomènes spécifiques au vert trouvent leur origine causale dans le ressentisme. Les dérives du vert sont également liées à son régime de véridiction spécifique. Ce n’est pas que le vert aurait une version malsaine (Mean Green Meme), mais plutôt que chaque stade ou chaque vMème présente une dérive, une forme excessive ou caricaturale de son régime de véridiction qui vient révéler les limites de son paradigme. Chaque régime de veridiction présente des avantages et des inconvénients. Selon que ces formes actualisées seront plus ou moins oppositionnelles, elles feront plus ou moins ressortir ses limites spécifiques, en n’étant pas équilibrée par les apports complémentaires des stades précédents.
J’ai développé récemment une réflexion sur les formes de dérives propres à chaque stade de l’évolution tel que décrit dans le modèle de la Spirale Dynamique. Je m’attarde plus particulièrement à penser la dérive du stade vert, observant très souvent sur le terrain un manque de rationalité chez les individus en verts.
Je vois que la religion bleue dérive en dogmatisme, que la science orange dérive en scientisme. Et au niveau vert j’observe une dérive vers un subjectivisme pré-rationnel, sorte de ressentisme intuitif ouvert à tous les biais cognitifs.
J’appelle cela le phénomène vert régressif. Ce phénomène socio-culturel n’est au fond qu’une pré/trans fallacy, au sens wilberien du terme. A partir du moment où l’évolution entame le dépassement du mental rationnel, elle perd son appui structurant et risque de retomber en deça. C’est ce qui advient pour une partie de ceux qui opèrent cette mutation conscientielle sans avoir suffisamment intégré le stade précédent. Je pense aux rainbow d’aujourd’hui, aux gens que l’on retrouve dans les festivals néo-tribaux de type Rêve de l’Aborigène, ou aux personnes qui sont dans le New Age, etc.
NOTE 2
Voici un texte de Ken Wilber issu de son dernier livre, Trump and a post-Truth World, qui confirme ce que je dis depuis quelques années, à savoir :
1/ Le niveau Vert de l’évolution de la conscience, tel que décrit dans le modèle de la Spirale Dynamique, a jusqu’ici échoué à prendre les commandes de la société. Il y a eu jusqu’ici un échec des créatifs culturels, un échec à se rassembler et à prendre conscience d’eux-mêmes en tant que groupe pour constituer une force en vue de transformer la société, comme l’avait espéré Paul Ray.
2/ Cet échec est lié à un double facteur :
– le premier, que j’avais senti et théorisé à ma manière, c’est la pre/trans fallacy du Vert, soit sa confusion entre le niveau pré-(moderne/rationnel/egoïque) et le niveau post-(moderne-rationnel-egoïque). (Pour faire simple : la dynamique d’évolution post-moderne ayant eu une attitude trop oppositionnelle envers la modernité, en a perdu les apports et est retombée dans des logiques pré-modernes et pré-rationnelles, aussi bien du côté de l’écologie que de la spiritualité) ;
– et le second, que j’avais moins compris, et que Wilber a bien mis en évidence, à savoir la dérive du discours Vert vers un relativisme absolu prônant le “chacun sa vérité”. Pour résumer : la déconstruction de toutes les formes de domination qui va de la french theory au constructivisme social actuel, débouche sur un relativisme plat qui nie le progrès holarchique de l’évolution et par suite, prive le Vert de son leadership évolutionnaire et de sa capacité à affirmer un But, au profit d’un monde plat post-vérité. En somme, le rejet de toute hiérarchie de domination conduit à renier toute l’holarchie de l’évolution, qui fait qu’un système de valeur rouge est moins évolué qu’un système de valeur vert par exemple, ou qu’un ver de terre est moins évolué qu’un humain.
Voilà pour les causes internes à l’échec du Vert à changer la société. Il faudrait bien sûr y ajouter les causes externes, et notamment la difficulté des populations situées sur les niveaux précédents à suivre le rythme et le niveau de complexité de l’évolution en cours. La majorité en orange attend notamment que le nouveau paradigme ait fait ses preuves et devienne concret, mais l’évolution caricaturale du vert est loin d’être convaincante dans les yeux des oranges… Dans ce contexte le fameux gouffre de la théorie de la diffusion de l’innovation dont parle Geoffrey Moore n’a pas pu être sauté. En somme : le processus d’évolution a échoué (du moins jusqu’ici).
3/ En conséquence de cet échec, et donc en l’absence d’issue évolutive à la crise systémique, nous avons assisté à une montée de monstres régressifs. La nature ayant horreur du vide, si la tension systémique ne peut pas être canalisée dans un sens évolutif, elle se réoriente vers des issues régressives.
Hypothèse à tester : c’est le niveau Jaune-Turquoise de la Spirale Dynamique (vert d’eau – turquoise dans le modèle de Wilber) qui permettra de surmonter cet échec temporaire du Vert et de guérir par la même le Vert de sa pente régressive. C’est seulement au niveau Jaune-Turquoise que peut s’opérer le mouvement du “transcender et inclure” caractéristique de toute évolution de structure holarchique. Autrement dit c’est seulement au stade de conscience systémique-intégral que l’on pourra transcender le stade moderne actuel TOUT EN en intégrant les apports, et donc canaliser les tensions et mécontentements liés à la crise systémique du monde moderne vers une issue évolutive.)
C’est du moins ce que semble suggérer Ken Wilber, dans son dernier livre sur le phénomène Trump. Selon lui, Trump incarne une réaction anti-verte qui réussit à amalgamer du Rouge, du Bleu (Ambre chez Wilber) et du Orange pour emporter les élections. L’évolution s’est braquée, mais aux yeux de Wilber, c’est peut-être un recul pour mieux sauter.
Voici le passage qui résume le mieux l’analyse de Wilber sur la situation :
” The other major advantage of an integral leading-edge is that it would create an enormously powerful downward-acting morphic field that would exert a strong pressure on green to heal its fragmented and broken ways. Although this would not in itself directly cure each and every green defect—that can be done only with green’s own actions and cooperation—it would nonetheless introduce a powerful regenerative field that would compensate for green’s malfunctions and in many cases would indeed help green to directly heal them. (…)
We did see that when around 10 percent of the population reaches the same level as that of the leading-edge itself, then there is something of a “tipping point” reached, and the generic qualities of the leading-edge tend to seep into or permeate the entire culture. We already have around 5 percent that is already at integral, and it might reach 10 percent within a decade or two. At that time, there would be a transformative shift in the interior domains the likes of which humanity has never, but never, seen. The true inclusiveness that forward-thinking social and political theorists have long idolized as near utopian would in fact become a very real possibility for humanity for the first time in its entire history.
This will be happening at about the same time that we reach something resembling a technological Singularity—and together, these conditions would propel the world into a transformative event the likes of which has never been remotely seen—or even imagined— before. This will be in direct opposition to many of the present-day degenerative, degrading, divisive, devolving currents that are the product of an abundance of lower stages—that, among other items, drive terrorism, intense marginalization, global warming, environmental degradation, and social injustices such as trafficking— and that are also now actually headed by a leading-edge that has disastrously derailed. These are truly dangerous times. That is why the beginning of a genuinely Integral Age—in all 4 quadrants—will arrive not a moment too soon. I could go on endlessly here, but I’ll simply leave that tantalizing possibility to your imagination. I will point out that this integral stage, because it has already started to emerge in full force around the world, has, among a huge number of other things, created entire theories that originate at this newly emergent level— with Integral Metatheory, which I represent, being one of the most effective, having already fully reinterpreted over 60 human disciplines through an Integral lens—giving items such as Integral Business, Integral Medicine, Integral Art, Integral History, Integral Spirituality, Integral Economics, Integral Education, Integral Politics, and so on— each one of them a much more effective and inclusive approach to its field.
But one of our central points, for either major way forward, is essentially the same, which I’ll briefly summarize: the green postmodern leading-edge of evolution itself has, for several decades, degenerated into its extreme, pathological, and dysfunctional forms. As such, it is literally incapable of effectively acting as a real leadingedge. Its fundamental belief—“there is no truth” (with its many derivatives)—and its basic essential attitude—“aperspectival madness”—cannot in any fashion actually lead, actually choose a course of action that is positive, healthy, effective, and truly evolutionary. With all growth hierarchies denied and deconstructed, evolution has no real way to grow, has no way forward at all, and thus nothing but dominator hierarchies are seen everywhere, effectively reducing any individual you want to a victim. The leading-edge has collapsed; it is now a few-billion-person massive car crash, a huge traffic jam at the very edge of evolution itself, sabotaging virtually every move that evolution seeks to take. Evolution itself finds its own headlights shining beams of nihilism, which can actually see nothing, or beams of narcissism, which can see only itself. Under this often malicious leadership (“the mean green meme”), the earlier levels and stages of development have themselves begun to hemorrhage, sliding into their own forms of pathological dysfunction. And this isn’t just happening in one or two countries, it is happening around the world.
This culturally divisive and fragmenting force (in the Lower Left) has joined with various systemic forces (in the Lower Right), such as a technological drive toward divisive, echo-chambered, and siloed individuals, and an interior drive (in the Upper Left) toward increasingly narcissistic displays. With no overriding drives to cohesion, unity, or self-organization available in a truly effective fashion in any of the quadrants, there is an almost historically unprecedented regression in essentially all of them. Evolution, in a decided move of self-correction, has paused and is in the process of backing up a few paces, regrouping, and reconstituting itself for a healthier, more unified, more functional continuation. What virtually all of these regroupings have as a primary driver is a profound antigreen dynamic acting as a morphic field radiating from the broken leading-edge itself.
Donald Trump, more than any other single factor, has (unknown to himself, or virtually anybody else, for that matter) ridden these antigreen forces to a massively surprising presidential victory. As previous stages became, in various ways and to various degrees, activated by Trump, whether orange, amber, or red, they all shared one thing: the anti-green dynamic (a dynamic that, because it had not been recognized in any significant way, made Trump’s victory a stunning and unbelievable surprise to virtually everybody). And—although Trump himself will do little to actually address the details of this—as each of these stages works to redress the imbalances inflicted on it by an extreme green and its aperspectival madness, the overall effects of these recent events could indeed turn out to be quite healthy, allowing evolution to generally self-correct and adopt a leading-edge that can actually lead, thus allowing evolution itself to continue its ongoing march of “transcend and include,” a self-organization through self-transcendence.“
Ken Wilber, Trump and a post-Truth World
Note 3
J’ai un peu affiné ma réflexion sur la crise du Vert et le phénomène Trump. Je vais essayer de faire une vidéo pour reprendre tout ça de manière pédagogique, mais en attendant : l’idée que seul le jaune permettra de sauver le vert est à corriger. L’idée qu’il faudrait passer au jaune avant d’avoir pleinement vécu le vert est également à corriger, même s’il est vrai, ultimement, que le jaune est bien plus en capacité de résoudre la crise systémique, étant lui-même de nature systémique. Le problème tient dans ce que le jaune n’est pas prêt quantitativement à prendre le pouvoir. Il doit donc, pour réussir, s’appuyer sur le vert sain, quantitativement bien plus important. Mais Wilber ne disait-il pas que le vert sain avait dégénéré en vert malsain? Si, et il avait en partie tort, voici pourquoi :
Il y a en réalité deux Verts, un vert sain et un vert malsain (Mean Green Meme chez Wilber et Don Beck). Mais contrairement à ce que dit Wilber dans son livre sur Trump, on n’est pas passé d’un vert sain à un vert malsain. Ce n’est pas une dégénerescence. En fait, les deux coexistent simultanément : il y a deux écologies, une saine et une malsaine, deux spiritualités vertes, une saine et une malsaine ou régressive, et même on pourrait dire deux féminismes, l’un anti-homme et l’autre pro-égalité, un féminisme du face-à-face menant à la guerre des sexes et un féminisme du côte-à-côte menant à la co-évolution (voir à ce sujet mes réflexions sur le Féminisme constructif).
Cette co-existence s’explique par des différences d’intensité oppositionnelle dans le rapport des post-modernes au monde moderne. Pour qu’il y ait évolution, il faut en effet qu’il y ait un mouvement de Transcender et Inclure, car l’évolution a une structure holarchique, non pas une structure oppositionnelle. Elle emboite les niveaux de complexité comme des poupées russes. Ainsi le postmoderne inclut le moderne tout en le dépassant, et c’est précisément cette inclusion qui le distingue du pré-moderne. L’opposition radicale ne saurait produire une évolution car elle se prive de l’apport de ce à quoi elle s’oppose, et ne pouvant donc l’inclure, elle reconduit fatalement sur de la régression. Par conséquent, plus l’opposition est forte et plus elle empêche le mouvement d’inclusion qui rend possible un véritable Transcender holarchique. Toute posture d’opposition radicale à la modernité, dans la mesure où elle conduit au rejet de son apport, ne peut que reconduire fatalement sur de la régression pré-moderne. Mais si le caractère oppositionnel est moins fort, c’est-à dire si la conscience est suffisamment non-binaire pour voir les avantages de la modernité en même temps que ses défauts, alors l’intégration peut se faire et donc le dépassement évolutif du stade moderne devient possible. Deux trajectoires vertes se dessinent alors : l’une finit par rétrocéder, l’autre parvient à évoluer.
Certains passent de l’un à l’autre. Par exemple, on commencera dans une phase adolescente hyper-oppositionnelle au orange, par un rejet en bloc du modernisme qui pourra nous conduire par exemple dans une communauté de permaculture low-tech. Mais quelques temps plus tard, gagnant en maturité, on commencera à réaliser l’apport de la modernité (en étant confronté aux limites d’un mode de vie en rupture avec la société, en ayant été au bout de cette logique) et l’on reviendra sur un vert plus équilibré. Ou bien l’inverse: on milite pour le développement durable et puis on tombe sur une chaîne comme Thinkerview et l’on finit dans une base autonome durable avec Pablo et ses copins.
Bref il y a deux verts, mais ce sont plus des degrés oppositionnels qui conduisent à une scission de la trajectoire verte en deux trajectoires. Les deux trajectoires s’opposant d’ailleurs: pour les collapso-décroissants, le développement durable est une arnaque, se réduit à du greenwashing. Pour les constructifs partisans de l’écologie créative, la décroissance rendrait impossible la transition, les collapso-décroissants sont donc un obstacle à l’écologie, du populisme vert, du traditionalisme à prétexte écolo. Mais ce qui est sûr c’est que l’un n’a pas remplacé l’autre, on peut juste dire qu’il y en a un qui domine médiatiquement sur l’autre, pas qu’il l’a remplacé. Le vert sain existe, en écologie comme en spiritualité, et pour cette raison, nous devons nous garder d’un rejet en bloc du vert et ne pas en oublier l’apport considérable pour l’évolution socio-culturelle en cours. (voir : Le ressentisme vert)
La grande différence avec Wilber, c’est donc que le vert sain existe toujours. Il s’agit de le renforcer et de l’appuyer, car le jaune n’est pas prêt quantitativement pour gagner le pouvoir, il doit s’appuyer sur le vert qui est au moins à 20% (35% selon l’enquête de 2008 de Paul Ray). Le jaune ne doit donc pas guérir le vert malsain mais renforcer le vert sain contre le vert malsain. C’est une petite nuance par rapport à Wilber mais ça permet de clarifier une chose: c’est qu’il ne s’agit pas de sauter le vert, en allant directement au jaune, ce qui est contraire aux principes de la Spirale Dynamique (on ne saute pas d’étape dans l’évolution). On n’a pas à sauter le vert en tant qu’étape, on a à renforcer le vert sain pour que cette étape puisse se faire. Le vert sain peut se renforcer lui-même. Et le jaune peut aider le vert sain à se renforcer en l’influençant. On aurait alors un vert au pouvoir via une forme de Green New Deal, mais avec des jaunes en coulisses. C’est un peu ce qu’envisage Wilber lorsqu’il parle d’un « champ morphique à action descendante », avec rayonnement du jaune sur le vert, mais il envisage ce rayonnement comme une guérison du vert malsain en vert sain, alors qu’il s’agit plutôt d’un renforcement du vert sain, pouvant peut-être aussi récupérer une partie des verts malsains, les autres poursuivant leur trajectoire régressive.
Et ce bloc vert-jaune, doit attirer le orange à lui via le ORANGE-vert, pour tirer la masse culturelle et électorale orange dans le camp de l’évolution, l’arrachant ainsi au bloc régressif rouge-bleu-orange (Trump, Bolsonaro, mouvements nationalistes et identitaires). Tout va se jouer sur le basculement du Orange (je rappelle que les oranges représentent encore la majorité dans les pays industriels avancés). Le vert-jaune tire vers l’évolution, le rouge-bleu et le vert malsain tirent vers la régression. Entre les deux, le orange peut s’allier d’un côté ou de l’autre. Et ça se joue beaucoup sur la santé du vert. Si le vert est suffisamment sain et non-régressif, sa force de proposition convaincra le ORANGE-vert et emportera avec lui les 3/4 du orange (laissant le ORANGE-bleu s’allier au bloc rouge-bleu). Le Green New Deal peut dans ce cas l’emporter et s’il l’emporte dans plusieurs pays, nous aurons un véritable mouvement mondial de concrétisation de la transition.
La bonne nouvelle, c’est que le Green New Deal est en train de s’imposer dans le camp démocrate et la victoire de Biden signe la reprise de la dynamique d’évolution après la phase régressive trumpienne. Les modèles de Graves expliquent ce phénomène: il s’agit d’un creux gamma ( γ ) dans le processus de changement de paradigme (voir F. et P. Chabreuil, La Spirale Dynamique, Chap. IX “Les 5 états du changement”).
En simple: l’évolution recule avant de sauter. Je renvoie à la belle citation d’Aurobindo: « La fin d’un stade de l’évolution est généralement marquée par une puissante recrudescence de tout ce qui doit sortir de l’évolution. » Le moment trumpien était donc bien un recul pour mieux sauter. Certes Biden n’est pas encore le saut mais la reprise, ça ira dans le bon sens, mais un peu mollement encore, à moins que Harris ou d’autres ne dynamisent tout ça, sinon il faudra attendre la génération suivante. Il est vrai que ce Green New Deal là est encore proche d’un éco-modernisme orange. Mais il faut bien que le pouvoir orange commence à verdir avant de passer à un centre de gravité en vert.
La seconde bonne nouvelle, c’est qu’on voit des mouvements à forte teneur oppositionnelle se rapprocher du Green New Deal. Je songe à Naomi Klein, leader de l’altermondialisme anti-capitaliste, avec son livre “Plan B pour la planète : le New Deal vert“. Je pense aussi à Greta Thunberg, qui a fait quelques allusions anti-croissance et anti-CCU, mais qui dialogue à présent avec Ocasio-Cortez. Si ces mouvements populaires reconduisent ultimement, malgré leur caractère oppositionnel, sur la proposition Green New Deal, aux côté d’un Rifkin par exemple, il y a des chances que ça passe. Après, au Green New Deal d’être à la hauteur au niveau de son programme, et pour ça, les jaunes-turquoises peuvent aider en y insufflant une vraie vision puissante et systémique. Voilà où j’en suis dans mes réflexions, et même si ma pensée évolue constamment, je pense que c’est une phase d’éclaircie.
Quelques citations pour comprendre:
« L’autre avantage majeur d’un système de pointe intégral [i.e Jaune-Turquoise] est qu’il créerait un champ morphique à action descendante extrêmement puissant qui exercerait une forte pression sur le vert pour guérir sa fragmentation et sa détérioration. Bien que cela ne guérisse pas en soi directement chacun et chaque défaut vert – cela ne peut être fait qu’avec les propres actions du vert et sa coopération – cela introduirait néanmoins un puissant champ régénératif qui compenserait les dysfonctionnements de vert et dans de nombreux cas, cela aiderait en effet le vert à les guérir directement. » Ken Wilber, Trump et le monde post-vérité
« [GREEN] utilise les ressources que ORANGE a construites, mais comme il n’aime pas ORANGE, il s’éloigne de la croissance. La croissance et la consommation sont mauvaises. Il veut utiliser les ressources déjà disponibles et les redistribuer afin que tout le monde puisse rattraper son retard. GREEN est un système merveilleux, mais ironiquement, il suppose que tout le monde jouit du même niveau de richesse que lui. » Don Beck
« Dans la noble tentative de Green pour aller au-delà des règles conformistes et des préjugés ethnocentriques – en bref, dans l’admirable tentative de Green de passer au postconventionnel -, il a souvent adopté par inadvertance tout ce qui n’est pas conventionnel, et cela inclut beaucoup de choses franchement pré-conventionnelles, régressives et narcissiques. » Ken Wilber, Boomeritis
Sur le féminisme anti-homme:
« Détester les hommes et tout ce qu’ils représentent est notre droit le plus strict. C’est aussi une fête. Qui aurait cru qu’il y aurait autant de joie dans la misandrie ?» Pauline Harmange, Moi les hommes, je les déteste
« Il ne suffit pas de nous entraider, il faut, à notre tour, les éliminer. Les éliminer de nos esprits, de nos images, de nos représentations. Je ne lis plus de livres des hommes, je ne regarde plus leurs films, je n’écoute plus leurs musiques. J’essaie du moins. (…) Les productions des hommes sont le prolongement d’un système de domination. Elles sont le système. L’art est une extension de l’imaginaire masculin. Ils ont déjà infesté mon esprit. Je me préserve en les évitant. Commençons ainsi. Plus tard, ils pourront revenir ». Alice Coffin (élue EELV), Le génie lesbien
NOTE 4
Je ne fais pas partie des gens qui pensent qu’un saut de tarzan soit envisageable dans le processus d’évolution, ni à l’échelle individuelle ni à l’échelle collective. L’évolution ne saute pas d’étape, un orange ne peut pas accéder au jaune sans passer par vert. J’ai simplement mentionné une fois que Wilber envisage deux manières pour le Mean Green Meme d’être guéri de ses excès pathologiques : 1/ Le vert se guérit lui-même 2/ Le jaune aide le vert à guérir. J’ai aussi pensé, politiquement, des mouvements centrés en vert mais noyautés par des jaunes-turquoises en interne, et capables pour cette raison de capter le orange. Cette alliance me semblant la seule capable de faire triompher les forces d’évolution face à la montée des forces régressives et au risque d’effondrement du système. Les solutions à une crise systémique étant systémiques, la conscience jaune est plus à même de les concevoir. Pour simplifier je dirais qu’il nous faut des programmes jaunes de transition systémique portés par des verts et suscitant l’adhésion des Orange via les ORANGE-verts. C’est ce que nous essayons de faire au Courant Constructif, mais ce n’est pas facile et nous devons sans cesse veiller à l’équilibre entre les différentes couleurs. La déclaration d’Olivier selon laquelle les verts manqueraient d’éducation, de connaissance ou de réalisme est intéressante, mais à mes yeux elle ne concerne que les verts régressifs, pas les verts sains, qui se caractérisent par une transclusion réussie, et qui, de ce fait, disposent des compétences rationnelles holarchiquement intégrées en eux. C’est leur degré de radicalité oppositionnelle au orange qui détermine leur incapacité à intégrer/conserver l’apport du orange en eux, et par suite, à opérer un dépassement inclusif plutôt qu’une régression en bleu. La scission des trajectoires qui aboutit, d’un côté, à une transclusion saine et, de l’autre, à un échec transclusif se joue très précisément sur le degré d’opposition extractive au modernisme.
Cette différence apparaît par exemple dans le rapport aux énergies renouvelables : pour les verts régressifs, les ENR apparaissent comme du greenwashing du technosolutionnisme orange, la vraie solution étant plus à chercher dans une décroissance énergétique par voie morale et spirituelle, ce qui reconduit sur des modes d’existence traditionnels. Alors que pour des verts sains, les ENR sont une transition verte réelle, ce sont des énergies douces, respectueuses, féminines, harmonieuses, en lien avec les forces de la nature. Pour orange, elles peuvent être vues comme une opportunité financière, un défi technique, un nouveau marché, une solution pour continuer le système moderniste comme avant. Pour jaune, ce sera par exemple une systémique d’énergies multiples et distribuées mises en réseaux intelligents et définissant un nouveau rapport fondamental de l’homme à la nature.
NOTES 5
Le milieu spirituel est pourri jusqu’à l’os. On en a un bel aperçu en France, et aux Etats-Unis, c’est encore pire. Le vert régressif en bleu débouche sur une croyance en une bataille finale du bien contre le mal absolu. Et devinez quoi: le leader du camp du Bien s’appelle Donald Trump! Le nouvel âge incarné par un homme qui n’a pas la moindre conscience écologique et qui traite les femmes comme des objets (« Grab them by the pussy. You can do anything »). Comment les tenants du nouvel âge en sont venus à une telle absurdité? Quelles sont les médiations qui ont conduit à l’apparition de cette figure absurde : l’écolo-spirituel complotiste pro-Trump en convergence avec l’extrême droite?
Quelques médiations détectables :
– le rejet de la modernité rationnelle en tant qu’héritage
– le devenir infra-rationnel de la spiritualité qui en découle, principalement sous sa forme New Age
– la crise de légitimité des élites modernistes et la montée de la défiance populaire, qui produit un appel d’offre pour des leaders populistes
– la dérégulation du marché de l’information qui, alliée à la crise de légitimité des médias, débouche sur une inversion valorisationnelle : tout ce qui vient des médias professionnels est faux, tout ce qui vient d’Internet est vrai.
– le mélange progressif, sur Internet, du New Age avec le complotisme.
– La régression du vert en bleu via le discours de la bataille spirituelle du Bien contre le Mal, qui réactive le bleu des verts par sa composante spirituelle.
– L’enfermement progressif dans une idéologie complotiste qui fait système et produit un phénomène de dérive sectaire, les adeptes se concevant comme les « éveillés » et se coupant progressivement des « endormis ».
– L’effet du biais de confirmation démultiplié sur Internet par les suggestions algorithmiques et le communautarisme 2.0.
– L’accroissement de la complexité du monde qui génère un besoin de narrations simples, binaires et accessibles.
– L’excès de la charge psychique collective en cette période de crise systémique mondiale, qui produit d’un côté une dépression collective et de l’autre une paranoïa collective.
NOTE 6
Réflexion sur la pre/trans fallacy :
Wilber a identifié deux types de pre/trans fallacy, soit la confusion de trans-X avec pré-X (Freud), et la confusion (inverse) du pré-X avec trans-X (Jung). (Vous pouvez remplacer “-trans” par “-post” ou “-supra” si c’est plus clair pour vous.)
Or étant donné que la pre/trans fallacy comprend 3 termes: X, infra-X (ou pré-X) et supra-X (ou post-X, ou trans-X), il n’y a pas deux types de confusions pré/trans mais bien 6, car les combinaisons erronées possibles de ces trois éléments aboutissent à 6 possibilités:
1) Infra-X to supra-X
2) Infra-X to X
3) supra-X to infraX
4) supra-X to X
5) X to Infra-X
6) X to supra-X
Cas 1 : infra-X to supra-X
L’infra-rationnel est pris pour du supra-rationnel. Ex: certaines pratiques new age recourant à de la pensée magique sous un prétexte de dépassement du mental et d’évolution de la conscience.
Cas 2 : infra-X to X
L’infra-rationnel est pris pour du rationnel. Ex: les pseudo-sciences. Par exemple: la théorie des anciens astronautes en pseudo-archéologie essaye de faire passer pour de la science une relecture ufologique de la Bible et une théorie ufologique de l’évolution alternative à la théorie scientifique de l’évolution. Ou encore la justification abusive par la physique quantique de théories énergétiques new age.
Cas 3 : supra-X to infra-X
Le supra-rationnel est pris pour de l’infra-rationnel. Ex: réductionisme zététicien ne reconnaissant pas l’existence d’une dimension spirituelle irréductible. Réduction athée et/ou matérialiste du spirituel à des croyances pré-rationnelles.
Cas n°4 : supra-X to X
Le supra-rationnel est pris pour du rationnel. Correspond à des tentatives d’expliquer rationellement des phénomènes et capacités relevant du développement spirituel. Ex: les études scientifiques sur la méditation, la réalisation du Soi réduite à un état modifié de conscience relevant de la chimie du cerveau, la réduction de toute forme de chaneling à un syndrome de personnalité multiple, etc.
Cas n°5: X to infra-X
Le rationnel est pris pour de l’infra-rationnel. Ex: critique du « mythe du progrès », de la « religion de la croissance », de la « foi en la science » et du « culte de la technologie » chez les collapso-décroissants.
Cas n°6: X to supra X
Le rationnel est pris pour du supra-rationnel. Ex: on explique un phénomène rationnel encore non élucidé par le recours à du supra-rationnel parce qu’on n’a pas encore d’explication. Autre ex: un mentaliste se faisant passer pour un medium, un magicien laissant croire qu’il a acquis des superpouvoirs, les colons blancs avec leurs armes pris pour des dieux ou des êtres supérieurs, un gourou utilisant des techniques de manipulation pour faire croire qu’il est un grand être réalisé (ex: Satya Sai Baba utilisant des techniques de régurgitation pour faire croire qu’il matérialise des oeufs d’or, afin d’induire dans son public la croyance qu’il est un Avatar, puisque le fait de matérialiser des lingams d’or est reconnu dans la tradition hindoue comme un signe de l’Avatar). Voir: https://youtu.be/NOhxftt5Hn4
NOTE 7
La rationalité s’est construite historiquement comme un rejet du subjectivisme. La conquête de l’objectivité a été tout un apprentissage, très difficile, contre-intuitif, pour l’esprit humain. Il fallait écarter les émotions, les superstitions, les croyances religieuses, les biais cognitifs, les préférences subjectives, la sensibilité, pour faire parler le réel selon une méthodologie rigoureuse et lente puis s’en tenir aux faits. Il en est ressorti quelques blessures narcissiques difficiles à encaisser et un désenchantement du monde, une perte de la communion insupportable pour beaucoup, comme l’expriment aussi bien le phénomène néo-traditionaliste que le phénomène vert. Il est tout à fait compréhensible que le retour du subjectivisme, de l’émotionnel, du spirituel, du corps et du sensible fasse vaciller la rationalité, surtout si elle n’a été intégrée que partiellement (tous les modernes n’ont pas une reçu une formation scientifique ou étudié la construction de la rationalité dans la philosophie occidentale…) Une intégration insuffisante du orange conduit à un risque de pre/trans fallacy au niveau vert.
La détestation de Bill Gates sur les réseaux sociaux semble avoir atteint son apogée avec la crise du coronavirus. Rien d’anormal à cela, me direz-vous: Bill Gates est l’un des hommes les plus riches de la planète, mais c’est également l’un des plus exposés, il est donc normal qu’il cristallise la haine des riches particulièrement développée sous nos contrées populistes en déclin. Si l’on ajoute à cela la déferlante antivax, symptôme de l’antimodernisme montant au pays de Descartes et de Pasteur, on comprend que Bill Gates soit une cible privilégiée des complotistes en tout genre.
Il est vrai que dans notre culture la richesse est mal vue. Un riche ne peut être que mauvais, il a forcément gagné son argent en le prenant aux pauvres et en faisant le mal. Comment pourrait-il être constructif?
Attardons-nous donc sur le cas de Bill Gates, représentatif à plus d’un titre. Nous voudrions commencer par rappeler quelques faits, car il nous semble évident que les complotistes anti-Gates ne connaissent pas grand chose de ses activités, et dans la mesure où c’est désormais eux qui informent la population via Internet, les gens se retrouvent à haïr un homme dont ils ne connaissent pas le travail.
Bill Gates est d’abord un surdoué dont la passion pour l’informatique le conduit, très jeune, à fonder l’entreprise Microsoft, une entreprise avant-gardiste qui marquera l’histoire de l’informatique et fera de lui l’un des hommes les plus riches de la planète.
Bill Gates, sa vie, son ascension
Mais que faire de toute cette fortune amassée? Comment continuer à donner sens à sa vie quand on est arrivé au sommet de la réussite? La réponse de Bill Gates a été de se tourner vers la philanthropie en créant avec son épouse la Fondation Bill & Melinda Gates, retrouvant là l’inspiration de sa mère, la philanthrope Mary Maxwell Gates.
Bill et Mélinda Gates: Pourquoi donner notre richesse a été la chose la plus satisfaisante que nous ayons faite
Le rôle de la Fondation est d’identifier et de financer les solutions les plus impactantes pour aider les plus démunis.
Les anti-Gates comme le journaliste anti-capitaliste Lionel Astruc dénoncent l’ “obsession” du milliardaire à fournir des vaccins aux africains, tout en reconnaissant paradoxalement “son engagement contre la polio, qui est indéniable et a été décisif dans la quasi-éradication de ce fléau” (1). Astruc pense en effet que, contre le paludisme, le pluri-milliardaire privilégierait les vaccins à des solutions naturelles comme la tisane d’artémisia recommandée par certaines associations, qui contient une substance antipaludique, l’artémisinine (2). En réalité l’Académie nationale de médecine de France a jugé ces prescriptions de tisanes « incertaines et irresponsables ». Selon elle, “La consommation d’Artemisia seule pendant 7 jours, par des litres de tisane de composition incertaine, expose les jeunes enfants (<5 ans) impaludés à un risque élevé d’accès pernicieux. ” L’OMS a également dû prendre des positions fermes sur ce sujet. En France, l’Agence Nationale de Sécurité des Médicaments (ANSM) a suspendu en 2015 et 2017 la vente de produits à base d’Artemisia sur Internet ou par l’intermédiaire d’associations. La pertinence des critiques d’Astruc sur l’ambition vaccinale de Bill Gates laisse donc à désirer, ce qui ne les a pas empêchées de se répandre sur la toile.
Bill Gates sur les moustiques, la malaria et l’éducation
Les complotistes antivax ont quant à eux fini par conclure que les vaccins de Bill Gates avaient pour but de réduire la population. Mais ils n’ont toujours pas réussi à expliquer pourquoi un homme qui s’évertuerait à tuer les enfants d’Afrique se préoccuperait également de leur fournir des toilettes quand ils n’en ont pas.
Bill Gates finance des toilettes sans eau pour les pays du Sud
L’action constructive de Bill Gates ne s’arrête pas à l’aide aux plus démunis. On le retrouve également dans le financement de la capture carbone, de la fusion nucléaire, des énergies renouvelables et de la viande propre. Tout porte à croire que le milliardaire américain s’est investi d’une mission pour la réussite de la transition écologique de l’humanité. Voici un aperçu des investissements de Bill Gates dans les différents secteurs de la transition:
Bill Gates à propos de l’énergie: innover vers le zéro carbone
Autant dire que Bill Gates est devenu l’un des leaders constructifs mondiaux les plus importants de notre époque. Au delà de son action personnelle, il a su inspirer une dynamique philanthropique et constructive au sein de l’élite mondiale. Mais la haine des riches a également fait de lui une cible majeure des complotistes, qui s’ingénient à créer les théories les plus paranoïaques à son sujet. La dernière veut que Bill Gates ait créé le Coronavirus pour pucer la population mondiale grâce au vaccin qui serait en sa possession.
Le vaccin de Bill Gates, un poison ?
Nous sommes systématiquement confrontés à ces théories et à leurs émules chaque fois que nous valorisons les actions constructives de Bill Gates. C’est pourquoi j’aimerais dire une bonne fois pour toute que le nouveau paradigme a besoin de tout le monde, y compris des riches. Partout dans le monde des gens font leur part: des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux, des blancs, des noirs, des riches et des pauvres. Au Courant Constructif, nous n’excluons personne et voyons toutes ces parts comme complémentaires. La part des riches n’est pas des moindres dans cette grande transition. Elle consiste à financer l’évolution en cours, à orienter les flux vers les solutions, à mettre la force matérialisatrice de l’argent au service de la transition. C’est ce que fait Bill Gates, et en cela il montre l’exemple à d’autres riches qui ne font rien en ce sens et ne sont, eux, jamais critiqués.
L’argent est le nerf de l’évolution. Exclure les riches par pure idéologie, quand leur rôle est tellement primordial dans le financement et la mise à l’échelle des solutions, serait une grave erreur. C’est là encore un point qui nous différencie du populisme ambiant. Nous ne nous opposons pas aux riches, nous valorisons ceux qui apportent de la valeur à l’humanité et mettent leur fortune au service de la résolution des enjeux du siècle, inspirant les autres à en faire de même. Supposez que l’attitude constructive de Bill Gates inspire suffisamment de riches pour créer une dynamique constructive au sein de l’élite économique mondiale, nous aurions alors une puissante force de matérialisation au service de la transition qui s’en trouverait grandement accélérée.
Prenons donc garde à ce que notre rapport culturellement problématique à l’argent ne nous prive pas des ressources nécessaires au financement des solutions! L’argent n’est ni bon ni mauvais en soi, il ne fait qu’amplifier la nature de l’homme. Il ne le rend ni bon, ni mauvais, mais sert la part qu’il choisit de nourrir. Dans son état idéal, l’argent sert l’évolution, l’humanité, la créativité. Dans son état le plus déplorable, il sert la régression, l’ego, la destruction.
La question n’est pas d’être pour ou contre l’argent mais de valoriser ceux qui le mettent au service de l’évolution. Lutter contre les riches n’est pas la solution, être pour les riches a priori n’est pas non plus la voie à suivre. Il s’agit de valoriser et d’encourager les riches qui font un usage constructif de leur argent en le mettant au service des solutions. Quand l’idiot pointe l’argent, le sage regarde sa direction.
Satyavir, pour Courant Constructif
Bill Gates répond aux théories conspirationnistes
Pour aller plus loin et contrer les rumeurs complotistes :
(1) ASTRUC Lionel, L’art de la fausse générosité – La fondation Bill et Melinda Gates, Actes Sud, 2019
(2) ASTRUC Lionel, L’art de la fausse générosité – La fondation Bill et Melinda Gates, Actes Sud, 2019:
“Les vaccins sont-ils vraiment la meilleure solution ? Bien souvent, ils le sont. Mais parfois, pour le savoir, il faudrait accorder des moyens équitables aux recherches portant sur des solutions moins lucratives pour l’industrie pharmaceutique. Or, les avancées vers des traitements plus naturels et moins chers – donc moins lucratifs pour certains laboratoires – sont freinées par l’OMS . Par ailleurs, les vaccins, en plus des problèmes d’effets secondaires que certains peuvent provoquer, restent une solution coûteuse pour les populations les plus démunies. Dans le cas du paludisme, par exemple, la question des alternatives se pose. La Fondation a éludé une possible solution naturelle à l’efficacité pourtant démontrée :l’absorption de l’artémisia, sous forme de tisane, qui pourrait éradiquer la maladie. Plus précisément, l’OMS a interdit l’artémisinine et, avec le soutien de la Fondation, préféré favoriser le déploiement d’un vaccin antipaludique nommé Mosquirix® développé par GSK avec l’appui financier de l’Initiative Vaccin contre le paludisme de Path, émanation de la Fondation Bill et Melinda Gates50 . Pourtant, comme en témoigne Lucile Cornet-Vernet, vice-présidente de l’ONG More for Less à l’origine d’un réseau de Maisons de l’artémisia qui aident les populations africaines à bien cultiver l’artémisia et à bien la prendre médicalement : “La plus grande maladie infectieuse du monde peut être guérie par une plante que tout le monde peut avoir chez soi. Deux sortes d’artémisias soignent le paludisme depuis des siècles […] plus rapidement que les médicaments actuels. Elles n’ont aucun effet secondaire ni aucune toxicité.” Lucile Cornet-Vernet déplore que “80 % du budget de l’OMS [soit] perçu grâce à des firmes ou à des grands consortiums. L’OMS n’est pas indépendante, elle est juge et partie”, affirme-t-elle. “